Deux peintres et deux peintres authentiques : Alain de la Bourdonnaye et Garache au centre culturel municipal.

Deux peintres authentiques, chacun à la personnalité très affirmée. Deux peintres aussi fort connus pour avoir déjà montré, à plusieurs reprises, d’importants ensembles de leurs œuvres à Paris comme à l’étranger.

Tout d’abord, et c’est leur premier mérite, Alain de la Bourdonnaye et Garache nés tous les deux à Paris en 1930, nous paraissent avoir triomphalement franchi le cap de la quarantaine qui, comme on sait constitue souvent un passage difficile, parfois même tragique, pour tout artiste. En effet, chez certains qui s’étaient jusque-là montrés véritablement doués, cet âge-là (on a des exemples) peut marquer une rupture et une régression. Soit que le peintre verse dans la stéréotypie gratuite, soit qu’il sacrifie au style académique qu’il avait primitivement rejeté. Pour d’autres, tout au contraire, Dieu merci, la quarantaine amorce l’ère des grandes réalisations et marque le premier épanouissement d’un homme et d’une œuvre. On pourrait, à cet égard, citer des cas célèbres, justifiant le mot si lucide de Matisse : « il est plus facile d’avoir du génie à vingt ans que du talent à quarante ans. »

Deux visions. Deux mondes.

Dans leurs toiles exposées au Centre culturel municipal, Alain de la Bourdonnaye et Garache font preuve l’un et l’autre d’un talent créateur réel et également personnalisé. Leur qualité première est, au départ, en une époque où le « gadget » le plus gratuit a partout droit de cité, de parler un langage de peintre. Entendons un langage véritablement plastique, à la fois rigoureux et suggestif. Car on ne saurait trop le souligner, il n’y a rien de gratuit et surtout rien de fabriqué dans l’art et la vision de ces deux purs artistes aux dons et à la maîtrise très affirmés. Deux artistes qui nous paraissent, personnellement, se rattacher au courant de la Nouvelle Figuration.

La vision d’Alain de la Bourdonnaye, qui travaillé avec l’admirable Arpad Szenes, nous offre un monde de formes et transparentes architectures auxquelles des chromatismes gris bleutent intensément subtils et enveloppants confèrent un caractère étrangement ambigu. Un monde qu’on ne saurait définir sèchement, car si on le sent relever de la réalité concrète il nous semble habité par une vie latente qui ne peut révéler que progressivement, pour le regard et le cœur, ses secrets arcanes. Une telle peinture en effet, n’est pas de celles qui se livrent d’emblée : elle exige pour être pénétrée une attentive et patiente lecture à partir d’un certain silence intérieur. Sans cesser d’être peinture, au sens noble du terme, elle ne laisse pas d’être dépaysante et parle à l’imagination d’une convaincante façon.

Le corps féminin est l’objet de l’œuvre de Garache. Ce corps, il l’évoque dans sa belle, calme et harmonieuse architecture de courbes à travers une dominante chromatique rouge rosée que rehaussent des zones de noirs très sobres. Il en restitue la pure synthèse qui semble défier le temps comme il en montre, isolés, les aspects essentiels dont il souligne la naturelle noblesse. Ce faisant, Garache, opère par larges plans stylisés un peu à la manière du cinéaste qui cernant une figure ou un objet, passe du plan général au gros plan. Tout comme celle, pourtant fort différente de la Bourdonnaye, une telle démarche est celle d’un décrypteur du « monde sensible ». Plastiquement, elle s’exprime en une vision qui allie hiératisme et dynamisme, sensibilité et monumentalité.

Deux peintres et deux visions et par là deux mondes. Et deux visions marquées par le sceau de l’originalité vraie, parce qu’elles sont, l’une et l’autre, le fruit de la personnalité créatrice véritable.

Robert ARIBAUT

Article paru dans La Dépêche du Midi, Toulouse, 26 juin 1972